ESTHÉTIQUE
DU MACHINISME AGRICOLE, Pierre Bergounioux suivi de PETIT DANSEUR,
Pierre Michon, 48 pages, format 13 x 20 cm, 13 € (franco de port)
COMMANDE ET CORRESPONDANCE :
Chèque à
l’ordre de Le Cadran ligné
LE CADRAN LIGNÉ
Le Mayne
19700
Saint-Clément
Laurent.albarracin//gmail.com
(COURRIEL/MAIL
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◘ _ ◘
~ LECTURE
par Isabelle DALBE ~
Pierre
Bergounioux introduit son ouvrage ESTHÉTIQUE DU MACHINISME
AGRICOLE par une réflexion sur l'expérience esthétique, en
précisant que le XXe siècle nous a appris : « la
relativité de la donnée de l'expérience qu'est le beau ».
Par suite, l'auteur nous informe qu'il est question « non
de l'objet mais de la perception que nous en avons laquelle est
régie par des rapports de force qui orientent et fixent les rapports
de sens ».
P.
Bergounioux poursuit son explication en remontant à l'histoire des
luttes des classes et aux conséquences en découlant sur « le
registre de l'expression qui a continuellement reflété les
intérêts, les goûts des puissants tandis que les opprimés, la
paysannerie […] puis le prolétariat ouvrier n'y ont jamais eu
accès ». Puis il passe en revue les changements des
dernières décennies (mutations dans une société massivement
rurale), en s'attachant à leurs effets, regrettables, notamment dans les lieux reculés (comme la Corrèze),
finalement gagnés par une désertion générale. Ces
développements réflexifs nourris de savoirs pluridisciplinaires, et
également assortis, dans les bruits de la sphère artistique,
d'exemples d'artistes ayant émergé dès la fin des années
cinquante, pour avoir probablement fait, tout comme l'auteur, le
constat « qu'il n'est pas d'objet, d'activité qui ne
comporte, potentiellement, une valeur esthétique»,
intéresseront sans conteste les lecteurs souhaitant, grâce à
d'amples informations découvertes voire simplement rappelées ou
complétées via des liens croisés, en être instruit.
Puis, le
cours de cette marche dans un temps révolu, inexorablement marqué
par la perte des outils de repère d'alors, nous ouvre aux « épaves
terriennes (brabants, faucheuses, herses, cultivateurs)»
provoquant cet
hésitant dilemme : soit leur abandon à « l'oubli
et la rouille », soit l'activation de la sensibilité
humaine « à la forme que masquait leur fonction ».
Pour sa part, Pierre Bergounioux
deviendra glaneur, dans des décharges à l'air libre improvisées et
les casses, des matériaux constitutifs du médium de son art.
Alors que
l'équipement agricole a été conçu en dehors de toute
considération esthétique, dans le registre des marchandises
(automobiles
de marques concurrentes « aux enveloppes de
tôle habillant une même technologie »,
etc.), coiffé par « la culture de marché »,
P. Bergounioux nous livre l'observation fine et appropriée de
l'anthropologue Marshall Sahlins : '' On ne produit
plus des objets pour les sujets mais des sujets pour les objets''.
« C'est
le regard qui crée l'objet »,
et P. Bergounioux
ajoute à cette aiguë
percée stabilisatrice : « Il a fallu que les
auxiliaires de bois et de fer de la paysannerie traditionnelle soient
désaffectés, rendus à l'immobilité et, aussi que nous les
considérions du regard distant, indifférent, de qui vit ailleurs et
travaille autrement pour qu'ils révèlent une beauté
'' objective '', comme aurait dit André Breton, restée
inaperçue du temps qu'ils servaient. »
Cet ouvrage
est accompagné d'un cahier de seize photos de fort belles sculptures
de Pierre Bergounioux qui, pour chacune de ses réalisations, a
employé un ensemble précis de pièces spécifiques ou l'une
d'elles, sauvées du parc d'un matériel agricole définitivement
boudé : boulons, chaîne à ergots, lames de rotavator, lames de
cultivateur : « Avec
leur double courbure, concave, dans la longueur, convexe, dans la
largeur, et leurs deux trous médians de fixation, les lames de
cultivateur, miment des visages […] », doigts de
faucheuse : « Les doigts effilés des barres de coupe
des faucheuses évoquent irrésistiblement des poissons ou des têtes
d'oiseaux ou des corps d'antilope. », griffes de
pelleteuse, ruban métallique, limes, tôle gaufrée, etc. Au final,
les œuvres abouties du sculpteur Bergounioux condensent une
véritable esthétique d'un fer savoir.
Le texte « PETIT
DANSEUR » (*) de Pierre Michon est attaché à l'œuvre que P.
Bergounioux lui a offerte et qu'il a aussitôt placée dans sa
propriété de campagne inhabitable, sertie de « pieuses ruines »
(remblai ancien aujourd'hui réduit à des fougères et ronces) dont
il dévoile et explique avec délicatesse la double nature «dévot-mêlé», celles-ci lui ayant paru idéales pour l'exécution
de pas de danse exécutés « avec un grand sérieux, une grande
application, un bon vouloir ouvert, enfantin, viril » par ce
gracieux et malicieux être sautillant, rehaussé de panache déifié.
© Pierre
Bergounioux, Petit danseur
(photo
Pierre Michon)
« C'est
un personnage en pied, peut-être qu'il danse. Il est fait de trois
tiges de fer plus ou moins coudées et
d'un boulon aveugle qui figure la tête. Sa poitrine est sertie dans
des mailles flottantes dont je n'ai jamais décidé si c'était un
petit gilet de berger ou la cuirasse d'un hoplite. L'égide d'un
dieu, pourquoi pas. Les bras sont levés, l'un plus que l'autre, et
le pied gauche l'est aussi avec fermeté et décision, comme on
attaque un pas. […] Le tout est à la fois léger et gravement tiré
vers le sol, comme l'est un danseur paysan. » P.
M - (*) Ce texte de Pierre Michon accompagnait l'exposition de Pierre Bergounioux « Sillons
et écritures », de 2011.-
En
conclusion, Pierre Bergounioux irise nos pupilles en champ libre pour
nous parler, inévitablement, de la captivante et flamboyante alliée
rousse du fer : « Lorsqu'il a
bouclé le cycle de l'usage et de l'usure, la rouille s'y met. Et,
par un sortilège comparable à celui qui dévoile la qualité
esthétique sous la finalité pratique, l'oxydation libère la gamme
des couleurs
dont il s'anime lorsqu'il s'unit à l'atmosphère atmosphérique.
Elle magnifie leurs noces. La rouille est d'abord peintre puis, le
temps aidant, graveur. Elle burine, creuse, ajoure le métal,
l'allège, le brode de motifs aussi délicats qu'imprévisibles et ce
sont, là encore, de ces enchantements qu'il ne tient qu'à nous de
voir, de fixer. ». Mais sa plume
gardant le suspens sur le souffle vertical de ses créations riches de son bel imaginaire, il laisse les
lecteurs juges de l'intensité de l'irruption dans leur regard de
ses/ces choses quasi animées : Trouée ; Rétractation ;
Proto-écriture ; Méfaits de l'oxydation, etc., et de ses/ces
êtres tout de fer dans la vapeur de l'effervescence, et à la haute
prestance et grande élégance sous leurs noms évocateurs :
Bayadère ; Hommage aux sculpteurs fang ; Hommage aux
sculpteurs bambara ; Baron capétien ; Danse russe ;
Grand état major, etc.
Sur
ce qu'il voit, son jugement et ses impressions s'y vrillant, le
lectorat doit alors garder la jeunesse de savoir se livrer à
lui-même son propre ressenti. Ainsi semble, peut-être à
juste titre, le penser et vouloir Pierre Bergounioux qui, en
clôture de son exposé expansif, offre à voir l’œuvre « Jeunesse »
édifiée à l'appui d'une cornière vrillée.
Lectrice
parmi ce lectorat, ma célébration « Présence crête
rouge » se place donc, ici, face à « Hommage à
Modigliani », l'une des
sculptures présentes dans l'encart photographique du livre.
©
Pierre Bergounioux, Hommage à Modigliani, pièce de batteuse
Crête
rouge comme une lampe claire qui apporte une lisière du temps. A
l'échancrure : Hommage à Modigliani. Et frappe le plus
réel : la dédicace aux yeux modiglianiens sans regard, et qui
coule vers ce rendez-vous prophétique où respire le masque. Puis éclaire ce devoir dans une lumière gorgée de l'écrit. Hymne
aux couleurs enrichies du pinceau de mémoire, faiseur des sillages
de la présence. Ce jour de chaque jour, Présence
crête rouge,
es-ce bien toi qui reviens toujours aveuglante ?
©
I. Dalbe
◘ ◘
~
LECTURE par Pierre VINCLAIR ~
«
Petit danseur », le texte que Pierre Michon consacre à la sculpture
éponyme de Pierre Bergounioux, débute ainsi :
Nous
devons à Pierre Bergounioux l'œuvre littéraire la plus accomplie
de ce temps. La seule sans doute qui nous rappelle avec éclat que la
beauté des lettres ne saurait être dissociée de la stricte
recherche de la vérité [...].
Cette
affirmation se trouve en appendice d'Esthétique du machinisme
agricole, un très beau texte de prose que Pierre Bergounioux vient
de publier au Cadran ligné. Il y déploie une méditation dense et
tenue, historique et philosophique, sur la beauté que l'on peut voir
dans « les brabants, les faucheuses, les herses » (p. 16) à partir
desquels il compose ses sculptures :
Il
a fallu que cet équipement tombe en déshérence, pourrisse,
solitaire, dans les friches ou s'entasse dans les casses pour
qu'apparaisse la qualité plastique que lui conférait,
paradoxalement, l'absence de toute considération esthétique dans sa
conception. (p. 34)
On
voit bien comment la prose de Bergounioux, à la fois spéculative et
sensible, peut illustrer l'affirmation de Pierre Michon selon
laquelle « la beauté des lettres ne saurait être dissociée de la
stricte recherche de la vérité ». [...]
©
P. Vinclair → SOURCE ici
◘ ◘
~
LECTURE par Tristan HORDÉ ~
«
Cet essai a été écrit pour présenter trois expositions, deux à
Nantes — dont la première était augmentée du texte de Pierre
Michon — et une à Tulle. […].
Les
sculptures en métal de Pierre Bergounioux, dont 16 sont reproduites,
sont élaborées à partir de ce que l’activité humaine n’utilise
plus, des déchets récupérés dans des casses1, « pôle
de destruction vers lequel tout produit s’achemine lorsqu’il
contient du métal ». Parfois, la pièce choisie n’est pas
modifiée et une tige en fer la fixe sur un support en bois. Le plus
souvent, les rebuts sont assemblés selon un projet : il s’agit
notamment de figurer tel animal, de reproduire un masque d’une
communauté africaine, de restituer le mouvement d’une danseuse,
d’évoquer un personnage (par exemple don Quichotte), de donner une
forme visible à une abstraction (par exemple le temps), etc. Devant
« une forte poutrelle en U » et « un paquet
de tôle forte repliée sur trois ou quatre épaisseurs, ondée,
plissée », que faire ? « Me contente d’ajouter une
sorte de tête à la première, et j’ai alors un danseur sauvage.
La deuxième se suffit à elle-même. Je soude un tirefond au pied,
la brosse et la vernis. De pièce ratées, je tire un masque fang
[etc] »2. Dans tous les cas, ce qui était voué à
disparaître devient sculpture, ‘’objet d’art’’ : «
C’est le regard qui crée l’objet », écrit justement
Pierre Bergounioux : isoler les pièces d’une machine — les
doigts d’une faucheuse — et les réunir dans un ordre bien
éloigné de celui de la machine, monter l’objet obtenu sur un bois
et le présenter dans une salle prévue pour recevoir (même
provisoirement) des sculptures, toutes ces opérations transforment
radicalement le statut de l’objet, d’autant plus qu’exposé il
est accompagné d’un texte. Ce n’est pas que l’élément
extrait d’une machine, quelle qu’elle soit, ait une « beauté
objective », comme le prétendait Breton, cité dans l’essai,
c’est plutôt que cet élément est susceptible de devenir œuvre
d’art selon des critères propres à une société à un moment
donné : on sait depuis Marcel Duchamp que placer, par exemple, un
véhicule accidenté dans un lieu particulier qui reçoit des
visiteurs, comme une galerie ou un musée, le consacre objet d’art.
Pierre
Bergounioux brosse à grands traits l’histoire de la relation entre
les productions artistiques et les rapports d’exploitation, puis
retrace la lente disparition de la société agraire — même si le
mot est toujours employé, souvent de façon démagogique, il n’y a
plus au début du troisième millénaire de paysans. De là l’abandon
de l’outillage traditionnel « en bordure du champ qu’on
allait rendre à l’ajonc, aux genêts, aux fougères qui
poussaient, à l’origine, et qui reviennent, à la fin. Avec
l’industrialisation de l’agriculture et, parallèlement, celle de
la plupart des activités autrefois artisanales, la plus grande
partie de l’outillage traditionnel, quand elle n’est pas vouée à
l’oubli ou livrée à la casse, devient objet de décoration,
récupérée dans une ferme — une charrette à un rond-point, une
charrue sur une pelouse — ou vendue dans les vide greniers —
rabots, varlopes, gouges, etc. C’est surtout dans le « chaos
métallique » de la casse que Pierre Bergounioux choisit ses
matériaux, et c’est « un commerce avec le fer, un combat avec le
fer », comme l’écrit Pierre Michon, qui aboutit à re-présenter
autrement certains moments du monde.
Le
Petit danseur est la première des 16 images reproduites. Le danseur
de fer, offert un jour à Pierre Michon, a été placé sur un
remblai, tout près d’une maison ruinée ; pris progressivement
dans les ronces, il connaît ainsi le sort des anciennes machines
agricoles. Peut-il sortir de l’oubli ? « Un jour peut-être, quand
j’aurai appris l’usage de la débroussailleuse et celui de ma
vie, je le libérerai des ronces, il reverra la lumière. Nous
reverrons la lumière, lui et moi. »
©
T. Hordé, extraits. Compte rendu complet → ici
1
Voir Pierre Bergounioux, La Casse, Fata Morgana, 1994.
2
Pierre Bergounioux, Carnet de notes, 2011-2015, Verdier, 2016, p.
588.
◘ _ ◘
R A P P E L
Parutions Le Cadran ligné
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TRAIT
FRAGILE, un essai critique de Pierre BERGOUNIOUX mis en regard
des œuvres de Jean-Pierre BRÉCHET. six reproductions de
lithographies, LE CADRAN LIGNÉ, 2013, 32 pages, format 19 x 25 cm,
18 € (franco de port) → Comptes rendus ici et ici
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PRÉFÉRENCES
de Pierre Bergounioux, LE CADRAN LIGNÉ Collection Livre « d’un
seul poème », 2012, 3 €
(franco de port) → ici
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